INFO LE FIGARO - Longtemps sous-cotée, la star française des années 1950-1970 prend sa revanche. Il lui manquait une exposition phare aux États-Unis pour redorer sa cote. C'est chose faite à la Nahmad Contemporary qui présente quatre toiles inédites de la meilleure période.
Par Béatrice de Rochebouët
Publié le 10/01/2019 à 18:21, mis à jour le 11/01/2019 à 18:27
Le marché attendait depuis bientôt trente ans une exposition magistrale de Georges Mathieu aux États-Unis. Le montrer aujourd'hui à New York, dans cette ville où il fut si bien accueilli par la critique qui découvrit ses toiles au début des années 1950 à la Stable Gallery, puis chez Sam Kootz et Alexander Iolas, est un gage de reconnaissance pour ce géant de l'abstraction lyrique. Après un long purgatoire, il commence à nouveau à intéresser le marché. Cela marque aussi le début d'un réajustement de sa cote anormalement basse, en lui donnant un sacré coup de boost, avec des prix à l'échelle internationale.
La galerie Nahmad Contemporary a pris les devants en accrochant sur les cimaises de son espace de Madison Avenue quatre toiles monumentales (2,50 x 6 mètres) peintes en 1978. L'initiative revient à Joseph Nahmad, dit Joe, le frère d'Helly, fils tous les deux du grand David Nahmad. «Elles proviennent directement de la succession de l'artiste, via son fils, et avaient été spécialement réalisées comme pièces centrales de sa rétrospective au Grand Palais en 1978», explique Joe Nahmad qui a fait des tours de passe-passe pour faire grimper au troisième étage ces immenses toiles.
«Il ne faut pas oublier que Mathieu est l'un des pionniers de l'abstraction d'après-guerre, et fondateur de l'abstraction lyrique dès 1947, ajoute le jeune marchand. Ses peintures magistrales sont à l'échelle d'un expressionniste abstrait américain. Tous les grands musées américains possèdent une ou plusieurs pièces de Mathieu, ajoute-t-il. C'est surprenant que nous soyons les premiers à lui consacrer une exposition aux États-Unis depuis plus de trente ans!». Au cours des années 1950, Mathieu réalise de grandes toiles devant un large public, sorte de performances rivalisant avec le groupe d'avant-garde japonais Gutai et anticipant le travail d'Yves Klein et les Happenings aux États-Unis.
» LIRE AUSSI - Disparition du peintre Georges Mathieu
Avec leurs titres décalés et poétiques, Souvenir de la maison d'Autriche (2 février 1978), Samsum (21 mars 1978), Tuz Golu (22 mars 1978) et Zonguldak (30 mars 1978), sont quatre des sept œuvres monumentales que Mathieu a réalisées pour accompagner sa rétrospective au Grand Palais. L'une des sept réalisations de cette série, Batoumi (31 mars 1978), fait aujourd'hui partie des collections du Centre Georges-Pompidou. C'est dire la valeur historique de ces pièces montrées à New York mais dont les prix en euros ne sont donnés que de manière confidentielle.
Que peuvent valoir ces œuvres monumentales sous le regard de l'Amérique? Autour du million et demi d'euros, de toute évidence. Les prix s'alignent sur ceux obtenus dernièrement en privé. Et notamment celui de deux millions d'euros obtenu en juin 2018 à la foire d'Art Basel, à Art Unlimited, pour l'Hommage au connétable de Bourbon peint en public à Vienne, le 2 avril 1959, en 40 minutes, sur une musique de Pierre Henry, au théâtre Fleischmarkt. En quelques heures, cette fresque (de 6 mètres par 2,5) présentée par le marchand parisien Franck Prazan est partie dans une collection privée suisse. Une belle transaction pour ce défenseur de l'artiste sur le second marché, avec des œuvres historiques allant de 1940 à 1960.
» LIRE AUSSI - Au Centre Georges-Pompidou, une toile de Mathieu endommagée
Les mentalités ont fait du chemin. La famille, et notamment sa veuve, à la tête du comité Mathieu fondé par Édouard Lombard, souhaite aussi réhabiliter l'artiste sur le marché. À Paris, Daniel Templon a fait, en accord avec celui-ci, une exposition qui a marqué les esprits. L'immense toile de 2,5 mètres sur 4 trônant sur les murs de sa galerie de la rue Beaubourg, L'Écartèlement de François Ravaillac, assassin du roi de France Henri IV, le 27 mai 1610, à Paris en place de Grève (1960) n'a laissé personne indifférent. Même les récalcitrants ne jurant que par l'art contemporain sont venus admirer cette toile de qualité muséale qui n'a toujours pas trouvé preneur, faute d'une proposition d'un grand musée ou d'une grande collection.
Le terrain ayant été bien préparé à Paris, l'exposition de Joe Nahmad fera l'évènement à New York. Présente dans toutes les grandes foires, notamment la Frieze Art Fair ou la Fiac, elle dispose d'un sérieux fichier de collectionneurs américains et étrangers. Mathieu qui supporte largement la comparaison avec un Jackson Pollock, Franz Kline, Pierre Soulages ou Zao Wou Ki, devrait prendre son envolée. Mais avant d'atteindre comme eux quelques dizaines de millions de dollars, il faudra encore attendre...
Nahmad Contemporary, 980 Madison avenue, Third Floor, du 11 janvier au 23 février 2018.